Henry Salvayre poursuit une vie de précurseur : premier docteur d’Etat en hydrogéologie, spécialiste des eaux du Sahara, enseignant en écologie à l’université de Perpignan… Mais il est surtout l’homme de l’eau du département. Responsable de nombre de nos captages, il a su mettre à jour la richesse exceptionnelle de nos ressources en eau, pour lesquelles il combat toujours.
Retour sur un parcours hors du commun.

« J’étais très mauvais élève » assure le savant en évoquant ses années collège, en Avignon. Dans les années 1940, à douze ans, alors qu’il risquait un redoublement, son père lui demande de quitter son parcours pour une formation professionnelle. Il intègre donc un collège technique, pour passer le certificat d’ajusteur-tourneur. Les années de guerre sont difficiles. « J’ai mangé des chauves-souris pendant la guerre, on crevait de faim ». Ironie de la chose, Henri sera plus tard un biologiste spécialiste des chauve-souris, sur lesquelles il écrira même un livre. Il apprend également à pêcher des poissons en rivière, avec un tuyau de gouttière, peut-être le départ de son amour pour l’eau.

Le jeune homme s’accroche, obtient son certificat et enchaîne avec un Bac de mathématiques techniques. Il explore alors le musée d’histoire naturelle d’Avignon. « Tout ce que j’ai appris, je l’ai appris là bas. » Passionné, il découvre la géologie, et passe une licence de sciences naturelles à Montpellier. Certificats de botanique, de biologie, de géologie viennent renforcer son CV. En 1956, il rédige un mémoire inédit sur l’hydrogéologie, qui lui permettra plus tard d’obtenir l’agrégation. Il devient alors maître auxiliaire de géologie au laboratoire de Montpellier, et rencontre sa future épouse parmi ses étudiants.

Pourtant deux déceptions vont l’atteindre coup sur coup. Pressenti comme futur conservateur du musée d’histoire naturelle de Nîmes, le poste se dérobe car il n’est pas protestant. Puis on lui propose de se rendre au Mozambique pour y régler les problèmes d’alimentation en eau. Mais là encore, alors qu’il est sur le départ, la guerre d’Algérie éclate est il est y appelé comme lieutenant durant 27 mois.

Pas de jury assez compétent pour évaluer sa thèse

En Algérie, sa passion lui trotte toujours dans la tête et il prépare la trame d’une thèse originale sur l’hydrogéologie. Il y a peu d’hydrogéologues en France à cette période, beaucoup œuvrent sur le continent africain. De retour au pays, Henri Salvayre s’installe à Perpignan et travaille comme pion au lycée Arago. « Je faisais ma thèse juste pour me sortir de pion ». Mais son sujet, les principes hydroliques pétroliers appliqués à la recherche de l’eau, est trop original : il n’existe tout simplement aucun jury suffisamment compétent pour valider une thèse d’Etat sur le sujet. Ce n’est qu’en 1969 que, grâce au savant Schoeller qui croit en son projet, il soutiendra sa thèse. Il devient le premier docteur d’Etat en hydrogéologie. Il sera récompensé par le prix Henri Milon de la société hydrogéologique de France.

Il ne reste plus qu’à trouver un emploi correspondant à ses qualifications. Mais pas de chaire d’hydrogéologie à l’université de Perpignan. Henri Salvayre est donc professeur de sciences naturelles à Saint Laurent de la Salanque, où il applique la pédagogie « Freinet », impliquant la participation des élèves à la construction du savoir. La création de l’IUT de Perpignan lui ouvrira enfin les portes nécessaires : on lui propose la chaire de professeur d’écologie, qu’il conservera jusqu’à sa retraite. Il emmène ses élèves découvrir les nappes phréatiques sur le terrain, et, spéléologue chevronné, fonde une école de plongée. Il sera l’un des explorateurs des conduits engloutis du département, vérifiant sa théorie sur l’existence de gigantesque réservoirs verticaux, comme le gouffre de Font Estramar.

Le trouveur d’eau

Les compétences d’Henri Salvayre ne se limitent pas à l’enseignement. Les docteurs d’Etats en hydrogéologie se comptent dans le monde sur les doigts d’une main. Pendant la guerre du Kosovo, il propose ses services à Médecins sans Frontières, et formera des équipes sur le départ pour le Kosovo, afin de gérer les problèmes d’alimentation en eau du pays. Puis, quatre jours après sa retraite, un de ses étudiants lui propose rejoindre l’Afrique. Il se rend sans hésiter au Burkina Faso où il réalisera qu’il n’est présent que pour justifier des subventions. Henri Salvayre décide alors d’aider directement les habitants, et devient l’un des plus grands spécialistes en hydrogéologie sub-saharienne, formant des ingénieurs sur place. « J’en ai fait plus là bas que j’ai pu en faire ici » déplore-t-il en évoquant le manque de réactivité de certains pouvoirs français.

Mais il s’efforce pourtant de révéler la richesse de nos eaux-souterraines. « Petit à petit, j’ai vu que les Pyrénées-Orientales étaient une représentation de toutes les eaux souterraines du monde. C’est le seul point entre Barcelone et Montpellier avec une telle richesse. Il y a toutes les structures géologiques possibles. Tout est fracturé : on trouve de l’eau partout ». Henri Salvayre déterminera ainsi la création de nombreux captages d’eau du département, dont de très importants comme ceux d’Opoul, de Villefranche ou des Angles, et s’attachera à les protéger. Il sera également consultant pour l’aménagement de nos cimetières : les corps qui se décomposent peuvent polluer les nappes phréatiques. Enfin, Henri sera le premier savant à dater l’eau. « J’ai eu l’idée de dater l’eau. On me prenait pour un fou ». Mais la datation au carbone 14 est concluante.

Un département à protéger

« L’eau met douze mille ans pour aller de Millas à la mer » explique le géologue. « On pollue aujourd’hui pour des milliers d’années à venir ». Ce qui inquiète Henri, c’est que nos réserves ne sont pas inépuisables. « Perpignan exploite des eaux anciennes qui ne se renouvellent pas. Nous buvons de l’eau qui a plusieurs milliers d’années. En un siècle on a asséché la plaine du Roussillon de vingt mètres ». C’est pourquoi le chercheur s’intéresse aujourd’hui aux Corbières et à tout le nord du département, qui contient des réserves d’eau renouvelables alimentées par un vaste réseau souterrain. Mais plusieurs des gouffres par lesquels l’eau s’infiltre sont pollués : certains servent littéralement de décharge, avec des cadavres d’animaux et des produits toxiques. Pour Henri et son équipe de spéléologues, il est plus qu’urgent de mobiliser les consciences pour protéger ces sites. Et les consciences, Henri Salvayre les touche de multiples façons. Si le projet d’un hydroscope dans le département s’est révélé un fiasco politique, Henri Salvayre s’accroche et diffuse aujourd’hui la découverte de l’eau grâce à un DVD pour les scolaires. Il aide également les particuliers à trouver les emplacements pour leurs forages. « Les sourciers ne détectent pas l’eau, seulement les fractures géologiques, où le champ magnétique est en rupture. C’est ce qui fait bouger la baguette. 99,9 % des gens sont sensibles à un champ magnétique. Il y a parfois de l’eau dans ces fractures, mais ce n’est pas systématique ». Son savoir aura permis de creuser de nombreux puits sur les terres catalanes. Et plus d’une dizaine de livres scientifiques publiés ne sont pas suffisants : trois autres sont en préparation, dont un sur le département qui mettra au grand jour ce que certains ne veulent pas voir. Un titre provisoire, « Propos d’écologies », et des thèmes sensibles : dégats de la RN 116 sur les nappes phréatiques, radioactivité à Ille-sur-Têt, ordures des rivières, THT, chauves-souris, étangs du Carlit, problèmes d’étourneaux… Tout sera abordé.

Les projets multiples d’un homme multiple, que nous attendons avec impatience.

Par Philippe Becker de la Semaine en Roussillon .

Quatre sphères emboîtées forment la planète Terre :
- la lithosphère, sphère solide des roches issues du feu ou de la mer,
- l’atmosphère, sphère aérienne des gaz vitaux,
- l’hydrosphère sphère liquide des mers, des lacs et des rivières...
De leur pérennité dépend la quatrième, biosphère ou sphère de vie, dont les acteurs puisent l’eau nécessaire à leur existence dans l’hydrosphère souterraine face cachée de l’hydrosphère terrestre.

D’une façon privilégiée et unique, les Pyrénées catalanes constituent une représentation idéale de l’hydrosphère souterraine et offrent à l’observation et à l’étude, du Canigou à la Méditerranée, les exemples originaux de réservoirs naturels où s’abritent les aquifères souterrains du granite, des schistes, des calcaires, des sables et des alluvions. Au moment où se pose avec une acuité croissante le problème de l’eau dans le monde, ces données peuvent constituer la base de connaissances utiles et des exemples pour développer des thèmes de réflexion sur la prospection, la gestion et l’exploitation des eaux souterraines contenues dans les aquifères des milieux granitiques, calcaires et sédimentaires.

Docteur d’État en hydrogéologie mais aussi spéléologue, Henri Salvayre a publié plusieurs ouvrages sur les activités qu’il poursuit depuis plus de cinquante années dans ces domaines. On lui doit la mise en évidence de l’importance des aquifères des massifs granitiques comme aux Angles, la découverte du réservoir karstique d’Opoul et celui de l’aquifère thermal de Llo, mais aussi l’initiative de l’aménagement de la grotte des Canalettes

  

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Une mer d'eau douce sous les Corbières

C’est par la spectaculaire résurgence de la Font Estramar à Salses-le-Château que l’on peut pénétrer dans la nappe.

Entre l’Aude et les Pyrénées-Orientales, les collines calcaires du massif des Corbières sont un immense gruyère parsemé de grottes, de gouffres, d’abîmes (“barrancs” en occitan) et failles.

L’eau de pluie et des rivières s’y infiltre, et s’accumule avant de s’écouler vers les étangs du littoral et la Méditerranée. Le cycle se répète, à l’infini...

Un hydrogéologue se passionne depuis plus de cinquante ans pour ce formidable château d’eau entre Narbonne et Perpignan qui, selon lui, renferme la plus grande réserve d’eau douce du Sud de la France et peut-être même d’Europe !

Les réserves se reconstituent instantanément

Henri Salvayre est docteur en hydrogéologie, ancien professeur des universités de Perpignan et de Bordeaux et spéléologue. Il estime à 1 000 km2 la superficie de cette mer souterraine, divisée en trois grands réservoirs. Soit 14 fois l’étendue de l’étang de Thau ! Mais d’une profondeur bien plus importante puisqu’elle est estimée entre 400 et 600 m.

Cela représente plusieurs centaines de millions de m 3 d’eau. Une eau potable, d’une parfaite qualité et qui a l’avantage d’être renouvelable : "Les réserves souterraines des Corbières se reconstituent instantanément, contrairement à l’eau puisée dans les plaines de l’Aude et des Pyrénées-Orientales qui a 5 000 ou 10 000 ans et qui ne se renouvelle pas. En 1907, quand on forait, elle jaillissait à 15 m de haut. Aujourd’hui, il faut creuser jusqu’à 25 m et ça va continuer. On épuise donc cette ressource parce qu’elle est fossile."

Henri Salvayre souhaiterait une prise de conscience des élus et administrations des deux départements de l’importance “stratégique” de la mer souterraine des Corbières et sur l’impérieuse nécessité de la préserver. Car des forages intempestifs peuvent la polluer.

Cousteau, Haroun Tazieff et Alain Bombard s’y sont intéressés

Le scientifique aimerait aussi évaluer précisément la dimension du château d’eau. Pour cela, il préconise la création d’une association pour mener l’exploration et mobiliser les fonds nécessaires. En surface, des scanners peuvent repérer les nappes d’eau souterraines. Mais il faudra entrer dans le réservoir. Et, pour cela, un petit sous-marin automatisé sera indispensable.

Le seul accès dans l’immense bassin est une spectaculaire résurgence baptisée la Font Estramar, à Salses-le-Château. Cette ancienne grotte inondée a été explorée jusqu’à 160 m de profondeur, limite des capacités humaines. On n’en connaît pas la profondeur réelle et, du coup, celle de la mer souterraine.

Avant Henri Salvayre, le commandant Cousteau, Haroun Tazieff et Alain Bombard se sont intéressés à ce gouffre et y ont plongé.
À cette occasion, Cousteau avait même réalisé le premier film sous-marin en couleur !

Trois bassins karstiques et de nombreuses résurgences

La mer d’eau douce serait, en fait, constituée de trois grands réservoirs karstiques (cavités dans de la roche calcaire, en bleu ci-dessus) : celui des Corbières maritimes, des Hautes-Corbières et celui de l’Orbieu. Certains sont alimentés par les cours d’eau : Orbieu, Verdouble et Agly. Les points bleus représentent les résurgences qui sont, d’ailleurs, bien plus nombreuses. Trois dans le bassin de l’Orbieu, neuf dans les Hautes Corbières et huit sur le littoral. Les douves du fort de Salses, par exemple, sont remplies par une résurgence. Quant à la Font Estramar, elle alimente un élevage piscicole.

La Région financera l'exploration

Yves Pietrasanta, vice-président du conseil Régional chargé du développement durable, affirme son intérêt pour le projet : « Avec Didier Codorniou, j’irai voir le professeur Salvayre en février afin de voir ce qu’il propose. Ce serait, en effet, intéressant d’établir la topologie des lieux grâce à des robots sous-marins. Nous aiderons au financement de cette expédition. » Et d’avancer une première estimation de la quantité d’eau utilisable à hauteur de 5 millions de m3 par an.

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